2005 - SALOMÉ
Du 14 juillet au 12 août 2005
21 représentations
18.000 spectateurs
Un drame d'Oscar Wilde
(…) Richard Kalisz a choisi la nef de l’abbatiale pour la célèbre danse des sept voiles. Les murailles sont couvertes d’inscriptions bibliques en hébreu, en latin et en grec. Projetées par rayon laser, elles se détachent avec une netteté surréelle. La danse de Fatou Traoré, réglée par Claudio Bernardo, s’avère sauvage, agressive, athlétique, mais elle n’est ni sensuelle ni lascive: c’est un rituel païen tout en extériorité. On soulignera la qualité et la prégnance de la musique et des chants exécutés par Malik Choukrane, Grégory Duret et Laurent Taquin. Ils contribuent à installer l’atmosphère d’archaïsme et de surnaturel voulue par le metteur en scène. On songe à leur prestation chorale en prélude au saisissant tableau final : debout dans les hautes herbes, sous les arbres violemment éclairés, ils nous font sortir du temps et de l’espace, pour rejoindre cette " beauté sombre de l’Apocalypse " qu’est Salomé aux yeux de Pierre Loti.
Bilan contrasté, donc, mais globalement positif, pour cette production qui parvient à faire revivre la Palestine au temps des origines du christianisme. Et nous livre cette terrible sentence qui aura plané sur toute l’œuvre et la vie d’Oscar Wilde: on finit toujours par tuer ce qu’on aime.
Philip Tirard, La Libre Belgique, 18 juillet 2005
AFFICHE & PHOTOGRAPHIES
(…) Ce drame, émaillé de petites répliques " humoristiques ", doit beaucoup à un trio exceptionnel avec un Pascal Racan époustouflant dans le rôle d’Hérode Antipas et superbement secondé par Fatou Traoré qui propose au Roi une danse lascive et sensuelle de toute beauté en interprétant une Salomé irrésistible et têtue. N’oublions par le prophète Iokanaan que Saïd Bahaid campe avec beaucoup d’aplomb et de rigueur. Une dernière mention favorable pour la qualité des chœurs et des psalmodieurs qui envoûtèrent les ruines par leurs chants. (…)
Marcel Van Caster, La Nouvelle Gazette, 18 juillet 2005
(…) Plus que la pièce d’Oscar Wilde, l’opéra de Richard Strauss qui s’en inspire est davantage porté à la scène. Il faut donc reconnaître un certain courage à Patrick de Longrée et Rinus Vanelslander qui ont choisi avec Richard Kalisz de faire revivre en plein air cette tragédie obscure. Un titre peu racoleur, un metteur en scène sobre et complexe et une comédienne néophyte dans le rôle titre: cette dernière production marque définitivement sa distinction.
La plus belle réussite de cette création reste sans aucun doute le décor crépusculaire tirant magnifiquement parti des ruines devenues métaphores d’un monde décadent et déclinant. Parés de voiles ténébreux, les vestiges de ce temple font naître l’ambiguïté. Sommes-nous dans un monde qui s’écroule ou à la naissance d’une nouvelle ère ? La dernière scène plaçant le spectateur dos à l’abbaye semble fournir la réponse à Richard Kalisz. Loin des luxuriances orientalistes qui souvent parent la cour du tétrarque, les décors s’en tiennent à la rigueur brute de la pierre et la musique à des sonorités archaïques. (…)
Catherine Makereel, Le Soir, 18 juillet 2005
LA DISTRIBUTION
PASCAL RACAN (Hérode Antipas)
CARMELA LOCANTORE (Hérodias)
FATOU TRAORÉ (Salomé)
SAÏD BAHAID (Iokanaan, le prophète)
MOHAMMED BARI (Le second Nazaréen)
LUC BRUMAGNE (Tigellin)
DENIS CARPENTIER (Le second Soldat )
ARNAUD CREVECŒUR (Un Cappadocien)
CLAUDIO DOS SANTOS (Le Jeune Syrien)
FLORIAN FAWINABES (Le deuxième Juif)
MARCEL GONZALEZ (Le premier Juif )
JERRY HENNING (La Page d’Hérodias)
SYLVAIN HONOREZ (Le troisième Juif )
LAONE LOPES (Le Nubien & l’Esclave)
HAKIM LOUK’MAN (Le premier Nazaréen)
JEAN-FRANCOIS ROSSION (Le premier Soldat)
KLEVER AUGUSTO DE MELO FONSECA (Naaman, le bourreau)
LES MUSICIENS
MALIK CHOUKRANE
GRÉGORY DURET
LAURENT TAQUIN
L'ÉQUIPE DE RÉALISATION
Mise en scène: RICHARD KALISZ
Scénographie et costumes: LIONEL LESIRE
Chorégraphie: CLAUDIO BERNARDO
Création des lumières: CHRISTIAN STENUIT
Création des maquillages: JEAN-PIERRE FINOTTO
Coach chant: DOUNIA DEPOORTER
Assistante à la mise en scène: FRANCE GILMONT
Régie de plateau: NOËL BAYE - PIERRE RONTI
Régie: NICOLAS PERRETIER
Réalisation des costumes: MAGHET COSTUMIER - CORINNE de LAVELEYE - ANTOINETTE DELVAUX - JOACHIM LAMEGO DE ALMEIDA
Réalisation des tiares: HAMID EL HAMRI
Habilleuse: MARIANNE BRACONNIER
Accessoires: NOËL BAYE
Construction décors: JEAN-JACQUES ALLART - JOËL BOUCQUIAUX - OLIVIER DE BONDT - JEAN-FRANÇOIS DESMET - DAVID DETIENNE - VINCENT GILLAIN - DAVID LAGNEAU
PeinturesOLIVIER WATERKEYN: OLIVIER WATERKEYN
Peinture des toiles géantes: ALEXANDRE OBOLENSKY
Maquilleuses: VIRGINIE CAPPELLE - BÉATRICE CORMAN - RAPHAËLLE LALINE - LAURA LAMOUCHI - BÉNÉDICTE PESSER
Opérateur lumière: LUC DE CLIMMER
Poursuiteur: STÉPHANE NISOL
Technicien de maintenance: JEAN-CLAUDE VERVAEK
Équipement son et lumières: BLUE SQUARES
Assistant de production: DAVID-SAMUËL COURTOIS
Assistante de direction: CLAUDINE DE COSTER
Produit par: PATRICK de LONGRÉE ET RINUS VANELSLANDER
Une coproduction de DEL Diffusion Villers et du Théâtre Jacques Gueux avec
l'aide du Ministère de la Culture de la Communauté française, de la Région
Wallonne et de la Province du Brabant wallon, avec le soutien de Maurice
Delens, Duvel, Audi Lease, ING, La Une, La Première, Le Vif/ L'Express, TV
Com, Le Soir, avec l'appui de Fourcroy, Hecht et Rent a Car.
LA PIÈCE
Une intrigue implacable
La belle Salomé, dont le parâtre n’est autre qu’Hérode, tétrarque de Judée, entend la voix du prophète Iokanaan emprisonné. Elle éprouve le désir de connaître cet homme qui prédit de si terribles châtiments à cette famille princière corrompue, et ordonne à un jeune Syrien de lui amener Iokanaan. A sa vue, elle se sent prise d’une violente passion; mais le prophète, horrifié, la repousse et la maudit, tandis que le Syrien, amoureux de Salomé, se donne la mort par désespoir. Son sang se répand sur les pas d’Hérode qui erre dans son palais, poursuivi par des fantômes et brûlant de désir pour Salomé. Il demande à la jeune fille de danser pour lui et lui promet, en récompense, la tête du prophète. Ainsi Salomé peut baiser les lèvres glacées de la tête coupée que lui apporte le bourreau. Exaspéré par ce spectacle qui défie Dieu et le pouvoir religieux, Hérode prend peur et donne à ses gardes l’ordre d’écraser et d’assassiner celle qu’il n’a pu posséder.
Un texte en français
Salomé est l’unique pièce écrite en français par Oscar Wilde; il s’agit d’un drame en un acte et en prose écrit entre 1891 et 1892. Sarah Bernhardt obtint d’interpréter le rôle lors d’une série de représentations prévues au Palace Theatre de Londres. Après huit jours de répétitions, elle dut cependant renoncer à son projet car il lui fut interdit de la jouer en raison d’une loi ancienne interdisant sur scène la représentation de personnages bibliques. Salomé fut représentée pour la première fois le 10 février 1896 au Théâtre de la Comédie parisienne par Lugné-Poe et sa troupe de l’Œuvre. A la demande de Wilde lui-même, le texte fut revu par Marcel Schwob, Stuart Merrill et Pierre Louÿs, puis traduit en anglais par Alfred Douglas (création en anglais au New Stage Club à Londres en mai 1905).
Un sujet brûlant
Oscar Wilde confère à chaque personnage, instrument aveugle du destin, une vigueur dramatique particulière. Dans cette fulgurante histoire de désir et de meurtre, d’imprécations prophétiques, d’inceste et de défi à la Loi, le poète a voulu donner à la nature même un aspect sombre, lourd de présages funestes, et en faire le reflet des passions troubles et exacerbées qu’il met en scène.
OSCAR WILDE
Une enfance calme
Ecrivain irlandais, Oscar Wilde est né le 16 octobre 1854 à Dublin et est mort le 30 novembre 1900 à Paris. Sa mère, Jane Francesca Elgee, nationaliste convaincue, poétesse, essayiste et traductrice (de Lamartine et Dumas notamment), fréquenta les cercles littéraires irlandais, puis londoniens. Son père, sir William Wilde, fut un pionnier de la chirurgie oculaire et auriculaire, passionné d’archéologie et de folklore irlandais. Après des études secondaires, Oscar Wilde poursuit des études classiques où il se montre aussi brillant qu’excentrique. Eclectique, il s’entousiasme pour les fastes du catholicisme, tout en demeurant protestant selon le vœu de son père, se fait recevoir franc-maçon en 1875, tandis qu’un séjour en Grèce au printemps 1877 redouble sa ferveur d’helléniste.
Des débuts excentriques
Porté par son esprit, ses dons de causeur et ses excentricités vestimentaires plutôt que par son œuvre alors limitée (Ravenne, 1878, poème pour lequel il reçut le Newdigate Prize), il devient la figure de proue de l’esthétisme, ce qui lui vaut de servir de modèle à la parodie qu’en font Gilbert et Sullivan dans l’opérette Patience (1881), et se voit invité à aller répandre la bonne parole sur le continent américain qu’il parcourt pendant un an. Cette tournée de conférences lui vaut un surcroît de notoriété et lui permet d’affiner son discours esthétique. A son retour, il s’installe à Paris (janvier 1883) où il écrit La Duchesse de Padoue et achève Véra ou les Nihilistes, tandis qu’il se lie avec les décadents français et rencontre Paul Bourget, Catulle Mendès et Edmond de Goncourt. Rentré à Londres, il épouse Constance Lloyd le 29 mai 1884, avec laquelle il aura deux fils. Très vite, il déserte son foyer pour des chambres d’hôtel où il retrouve des jeunes gens d’Oxford généreux de leur corps, qu’il entretient non moins généreusement.
Une œuvre variée entre drames et comédies
De 1887 à 1889, il est le rédacteur en chef du magazine féminin et féministe The Woman’s World. Il publie des contes: Le Prince heureux et autres contes (1888), Une maison de grenades (1891); des nouvelles: Le Crime de lord Arthur Saville et autres histoires (1891); et des essais réunis en 1891 dans Intentions. Il publie son unique roman, Le Portrait de Dorian Gray, en 1891 et la même année, écrit Salomé en français ainsi que sa première grande comédie, L’Eventail de Lady Windermere. Entre 1892 et 1895, il écrit et fait jouer Une Femme sans importance, Un mari idéal et De l’importance d’être constant, ses trois autres grandes comédies, accueillies avec enthousiasme par le public et la plupart des critiques. Il séjourne à nouveau à Paris en 1891 et fréquente les Mardis de Mallarmé et se lie avec Marcel Schwob, André Gide et Pierre Louÿs.
Une fin pathétique
A la suite de provocations lancées par le père de son ami, lord Alfred Douglas avec lequel il vit une passion tumultueuse, Wilde intente un procès pour diffamation et le perd (1895). Les révélations occasionnées par ce procès conduisent à d’autres procès dans lesquels il est l’accusé. Payant pour ses transgressions passées, et mis au pilori par une société victorienne puritaine, il est condamné à deux ans de travaux forcés qui lui inspireront le De Profundis et La Ballade de la geôle de Reading. Il meurt à Paris, seul et démuni, des suites d’une méningite.
L’ARGUMENT
La tentation de l’aube
La Judée, peu de temps avant l’avènement de Jésus, se trouvant sous occupation romaine, gouvernée par le roi Hérode, est secouée par les révoltes et les agitations de dissidents ou de sectes religieuses. Le pouvoir temporel atteint de corruption, veille à obtenir les bonnes grâces de l’occupant et à bénéficier de la collaboration des autorités religieuses. Et le Roi, et les autorités religieuses juives, n’ont plus de message à délivrer. Dès lors, faux messies et vrais prophètes prolifèrent pour tenter de redonner un sens au combat biblique dévoyé, pour revendiquer la justice et pour trouver les chemins de la libération ou de la morale. La liberté sexuelle qui se répand, confondue avec la confusion sexuelle, injurient et bafouent les dix commandements, notamment ceux qui interdisent l’adultère et l’inceste. En contact avec la civilisation romaine, l’Orient est tenté par sa dissolution dans des conceptions païennes, mais s’intéresse à la philosophie grecque. En même temps qu’il se produit un effet de décadence, se réalise à Jérusalem une extraordinaire ouverture. Oscar Wilde met en œuvre la tragédie dans un cadre incroyablement cosmopolite: Nubiens, Syriens, Nazaréens, Juifs, Romains, Cappadocéens, se côtoient et se rencontrent dans l’échange des corps, des angoisses et des croyances. Le désir et le "je" prennent le pas sur toute autre préoccupation. Parmi les agitateurs-prophètes juifs, Iokanaan (Jean-Baptiste pour l’ Evangile), se distinguant par sa fougue, sa violence verbale, ses anathèmes, à l’encontre du clergé et du roi, est arrêté et emprisonné. Devenu une menace pour l’ordre établi -car prêchant au nom de la pureté-, il est maintenu au secret, dégradé et jeté comme un animal dans la boue d’un puit: vengeance d’un roi et d’une reine qu’il a voulu souiller par ses dénonciations sur leur faute sexuelle. En effet, Hérode a épousé Hérodias, la femme de son frère. Manière aussi de ravaler un être qui a une réelle capacité de séduction, tant physique que spirituelle. Tout aurait pu s’arrêter là, ou n’être qu’une banale histoire de révolté, que le peuple voudrait libérer et que la royauté finirait par assassiner, si la force des pulsions n’en avait pas décidé autrement. Hérodias a une fille de son premier mariage: Salomé. Celle-ci, jeune et libre, tombant amoureuse du prisonnier, n’a plus qu’une obsession: le séduire et le posséder. Iokanaan, sensible à la puissance charnelle, mais persuadé que pareille faiblesse est coupable et responsable de tous les maux, qu’elle l’empêcherait, de surcroît, d’accomplir son devoir, lutte avec la dernière énergie pour l’écarter et la nier. Jusqu’au bout, Iokanaan se refuse, se durcissant davantage en imprécations intégristes. Par sa parole, la femme est désignée comme une putain et un obstacle à la sainteté combattante (la sainteté est une notion absente de la tradition juive. Elle est une invention chrétienne et islamique. Par contre, la femme comme danger potentiel se trouve incluse dans les trois monothéismes. Il en va de même en ce qui concerne la transgression homosexuelle). Pour lui faire ravaler son refus et ses insultes, pour affirmer son pouvoir et son émancipation, pour consommer son désir, Salomé réclame à Hérode la tête de Iokanaan, présenté comme un plat à dévorer sur un plateau d’argent. Hérode, qui lui-même n’a qu’une seule envie, coucher avec Salomé et, qui ne se gêne pas pour le signifier devant Hérodias, le lui accorde pour autant qu’elle se déshabille: et publiquement, et pour lui. C’est la danse des sept voiles. La danse et la décapitation accomplie, Hérode prend peur. Cette orgie et cette boucherie, cette consommation cannibale, pourraient bien sonner l’heure de la fin du royaume ou la fin d’une civilisation: il fait tuer Salomé par les soldats. Le sacrifice du monstre ("elle est monstrueuse ta fille"), emblème de nos monstruosités pulsionnelles, doit pouvoir sauver la situation. Il s’agit donc autant d’une dévastation charnelle et intérieure, que d’une dévastation du monde. Celui-ci vacille et pourrait s’effondrer. Sa ruine est proche. Personne ne sait si quelque chose d’autre en sortira. En tous les cas, le jour ne se lève pas. Seul un rayon de lune éclaire avec froideur le paysage, comme un projecteur pourrait balayer la cour d’une prison depuis sa plus haute tour.
Oscar Wilde n’a pas succombé à la tentation de l’aube.
Richard Kalisz
SALOMÉ À VILLERS-LA-VILLE
Villers-la-Ville est le lieu adéquat pour le drame de Oscar Wilde: l’abbaye peut à la fois être palais, synagogue et cathédrale. Et aussi ruine ou bâtiment en reconstruction. Les murs restants sont ouverts à tous les vents et donnent sur un ciel nocturne tel que défini par Wilde. L’effet poétique et les sacrilèges trouvent ici leur lieu d’élection.
La mise en scène, dans son utilisation du lieu, doit nous mettre en condition de telle manière que nous ne savons pas si la synagogue et la cathédrale se sont écroulées ou sont en voie de reconstruction. Nous sommes à la fois dans des restes contemporains et dans un temps très ancien. De derrière les murs troués peuvent nous parvenir les chants de la synagogue, la liturgie chrétienne et même les appels des mosquées. Le mélange des époques nous importe peu puisque qu’aujourd’hui les temps se téléscopent dans nos têtes. Des ruines, comme celles de Villers, permettent facilement de réaliser de tels sauts.
De plus, le palais se confond avec le lieu de culte par la façade de la grande cour, pouvant donner l’image d’une ville-citadelle. Et la pierre brute, et la terre, donnent un enracinement puissant, faisant également que la prison de Yokanaan reste ancrée dans la boue. C’est d’ailleurs ce qui attire Salomé.